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Un Maeterlinck en manque d’audace à la Comédie-Française

  • jochanson
  • 9 févr.
  • 3 min de lecture

Tommy Milliot met en scène L’Intruse et Les Aveugles, deux pièces de 1890 de Maurice Maeterlinck, poète belge que l’on aime cataloguer comme symboliste. Faisant partie de la Petite trilogie de la mort, ces deux pièces mettent en scène l’attente et la mort avec une écriture ciselée et redoutable.


Une famille attend une mort probable, celle d’une mère venant d’enfanter, présente dans la chambre voisine alors que dans l’autre pièce, onze aveugles, perdus près de leur hospice, sur une île mystérieuse, attendent le retour de leur guide. Une soixantaine d’années avant Beckett, Maeterlinck donne à voir l’absurde de la mort qui rôde et des paroles que jaillissent au milieu du rien. Assis derrière moi, un homme s’adresse aux deux femmes qui l’accompagnent et dit : « cette pièce est symboliste, c’est à dire que ce que vous allez voir n’est pas vrai ». Non seulement tout est toujours représentation, même le drame moderne, même le post dramatique, le théâtre n’est pas vrai. Mais en plus, s’il y a bien un théâtre qui joue à être vrai, c’est celui de Maeterlinck. 


Il y a un malentendu frappant concernant ces deux pièces et des écueils dans lesquels le metteur en scène plonge complètement. Il y a là une manifeste méconnaissance du travail qui devrait être celui du théâtre de texte. Les acteurs jouent sonorisés, voix détimbrées, leurs fins de phrases tombent dans les abîmes. Voilà tous les codes d’un mauvais cinéma, d’une manière de jouer qui singe le suspens, qui est censée rendre le texte mystérieux. Mais cet écueil des plateaux, plaie vieille comme le monde, malmène d’autant plus un Maeterlinck qui ne saurait souffrir une couche d’obscurité sur un texte déjà sombre. Il faut faire preuve de courage pour mettre en scène ces textes et le premier est d’oser le vivant. Courage de prendre des décisions dramaturgiques fortes et de donner corps aux mots du poète.


Parmi les décisions à prendre : celle de la couche sonore. Et là encore un immense contresens. Ce n’est pas parce que les pièces laissent planer une atmosphère de profondeur qu’une bande sonore ininterrompue mimant celle d’un film à suspens doit être diffusée. Maeterlinck est bien le poète du silence, il a à ce propos écrit un texte magnifique, lisible dans le recueil Le trésor des humbles. Pourquoi ne pas avoir le courage du silence ? Il est vrai que dans la proposition de Tommy Milliot, le jeu des acteurs étant déjà si lourd, il eut été redondant d’ajouter du temps au temps.


Les choix scénographiques, inspirés par le travail d’Adolphe Appia, manifestent un coté art déco teinté d’une esthétique nordiste. Le décor, attiré vers les hauteurs, porté par des murs qui montent vers les cintres, à l’image de certaines scénographies de Stéphane Braunschweig, ne convainc pas entièrement. Peut-être eut-il été plus utile d’investir moins dans les pierres et plus dans le jeu. Tommy Milliot dit dans un échange ne pas vouloir fuir le réel. Certes. Mais pourquoi mettre sur le plateau un vrai chien dans Les Aveugles ? L’intrusion du réel fait rire dans la salle, ce qui ne devrait pas être le cas. Il y a tout à parier que dans des partis pris plus audacieux la venue d’un animal, parangon du réel, eut accompagné le drame sans le faire échapper. 


Denis Marleau avait mis en scène Les Aveugles dans un théâtre d’acteurs vidéographiques en 2002 et, dans ce qui aurait pu paraître comme un exercice de style, la chair de l’absence avait pris corps. C’est que Maeterlinck, comme toute poésie digne de ce nom, ne réclame qu’un impératif : l’audace de la vie concrète.


Jonathan Chanson le samedi 8 février 2025

 
 
 

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